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Histoires et contes

  • Dialogue avec mes microbes

    Petit texte humoristique s'inspirant d'un livre très sérieux...

     

    Hello Folks !

    Salut les microbes ! Je suis votre chef de bord !

    Soyez les bienvenus en ce corps que j'ai l'honneur de piloter pour votre salut et votre confort. J'espère que nous ferons ensemble un beau voyage, et je compte sur vous pour m'aider à le rendre agréable. Comme moi, vous avez tout intérêt à ce que ce corps _ notre véhicule_ fonctionne du mieux possible, et je compte sur votre participation aux différentes fonctions vitales qui permettent de vivre tous ensemble en pleine harmonie.

    Mes services m'ont néanmoins signalé qu'il y a parmi vous quelques pique-pokets, et je vous invite à vous en méfier... Les usurpateurs, les tricheurs et les voleurs doivent être mis hors d'état de nuire, et j'ai le plaisir de vous annoncer que pour votre sécurité, ce véhicule est équipé d'un système immunitaire adapté à cette fonction. Sachez que je porte un grand intérêt au confort de mes passagers, à leur sécurité, et à la possibilité pour eux d'établir des relations de bon voisinage avec leurs partenaires de voyage. Le système immunitaire est là pour vous y aider, mais il se pourrait aussi qu'en cas de crise grave, comme par exemple une agression extérieure, nous ayons besoin du concours de tous pour éliminer la menace. Aussi, n'hésitez pas à collaborer activement avec le système immunitaire. Si vous avez des demandes particulières, n'hésitez pas à me les transmettre par voie chimique, via le système sanguin ou de toute autre manière.

    J'attache un soin particulier à satisfaire les désirs de mes passagers, que ce soit par le choix d'un lieu de vie agréable à tous, d'une destination de voyage enrichissante, ou d'échanges profitables avec des partenaires humains dont les goûts et les odeurs sont compatibles avec les nôtres.

    Mais surtout, n'hésitez pas lorsque vous êtes contents, à le faire savoir en secrétant cette merveilleuse sérotonine qui est la signature de la joie de vivre. Toutes les cellules du corps, quelque soit leur fonction vitale, ne vivent QUE pour cette sérotonine ! Quel serait le sens du voyage, si ce n'était pour être contents ensemble ? A quoi servirait une vie sans amour ? Ce serait la dépression !

    Nos destins sont liés, voyez-vous, car vous avez besoin que toutes les cellules de ce corps soient en bonne santé : si le corps meurt, vous mourrez aussi. Et en retour, les cellules ont besoin de votre soutien, sans quoi elles n'ont plus envie de vivre. Nous voilà donc en route pour une croisière agréable.

    Cela dit, j'ai aussi le devoir de vous informer que ce véhicule n'est pas éternel. Tout, sur cette Terre, semble d'une durée limitée. Nous allons donc tenter ensemble de vivre le plus longuement possible, mais quels que soient nos efforts, il viendra un moment où cela nous demandera à tous une telle énergie, que le jeu n'en vaudra plus la chandelle.

    Je sais que la plupart d'entre-vous peuvent se transformer en tueurs. Alors, quand ce sera le moment d'en finir, il se pourrait que nous fassions appel à vous, ou à certains d'entre-vous, pour que le processus soit rapide et radical. Une bonne fièvre durant le sommeil, pourrait très bien faire l'affaire.

    Avez-vous des questions ?

    _ Quand est-ce qu'on mange ?

    _ Moi : Ha-ha-ha ! Apparemment vous n'avez pas encore trouvé le restaurant ? Il en existe de nombreuses salles, tout au long de l'avenue principale, que l'on appelle "le tube digestif"

    _ J'ai vu, chef, mais personne ne veut me prendre à sa table !

    _ Padepanix Bacillia : Permettez que je réponde à ce jeune homme ?

    _ Moi : Bien sûr !

    _ Padepanix Bacillia : Si vous voulez qu'on vous fasse une place à table, il faut que vous vous présentiez et que vous apportiez quelque chose d'agréable... Comment vous appelez-vous ?

    _ Mon nom est Crocus Bacillium

    _ Padepanix Bacillia : Bon hé bien... Crocus, je vois que vous êtes nouveau ici... sachez que lorsque nous sommes réunis à plusieurs autour d'une table, en fonction de nos affinités, et que nous voyons arriver un inconnu, nous avons besoin de savoir s'il a de bonnes intentions, et si l'échange sera profitable. Sinon nous le repoussons à coup de produits chimiques...

    _ Moi : Merci Padepanix pour votre intervention, mais... Qui êtes-vous au juste ?

    _ Padepanix Bacillia : Je suis la chargée de communication de cette assemblée !

    _ Moi : Oh là là... Je vois que vous êtes diablement organisés !

    _ Padepanix Bacillia : Divinement, si vous permettez... Divinement...

    _ Encyclopedix Britanicus : C'est que nous sommes là depuis bien longtemps ! Nous étions là bien avant l'espèce humaine et du reste, nous avons participé à votre naissance.

    _ A ma naissance à moi, dis-je, ou à celle de l'espèce humaine ?

    _ Encyclopedix Britanicus : Les deux ! Bien avant les mammifères, nous étions déjà sur la Terre, et nous avons participé à l'élaboration de vos structures. La digestion, la respiration, la reproduction, sont des fonctions que nous maîtrisons depuis fort longtemps, et qui chez vous, sont la réplication des nôtres. Même votre système immunitaire, avec ses cellules tueuses, est construit à l'image de ce que nous savons faire de mieux, nous les microbes.

    _ Generalissim Microscopix : C'est que nous ne sommes pas des enfants de choeur !

    _ Moi : Ce que vous me dites me donne froid dans le dos ! Les êtres humains ont donc de bonnes raisons de craindre les attaques microbiennes...

    _ Generalissim Microscopix : Bien sûr ! Mais il ne faut pas tous nous mettre dans le même sac ! Il ne faut pas confondre les barbares qui viennent de l'extérieur, juste pour vous dévorer, et nous qui sommes ici, installés depuis longtemps...

    _ Padepanix Bacillia : Generalisim est notre chef des armées. Il a la lourde charge de repousser les envahisseurs...

    _ Moi : Mais comment puis-je vous distinguer des barbares qui nous menacent ?

    _ Encyclopedix Britanicus : Les barbares sont des peuplades sauvages... Et nous sommes des sédentaires, tandis qu'eux sont nomades...

    _ Generalissim Microscopix : Puisque vous avez connu les invasions barbares, vous savez bien comment ils fonctionnent : ils ne voient les choses qu'à court terme. Ils bousillent tout sur leur passage, y compris l'outil de production.

    _ Mathematix Bacillium : Exactement ! Un rapide calcul vous montrera combien ils se trompent. Il est clair que tout le monde veut se nourrir, mais... Si on prend l'exemple d'un homme comme vous, pesant 70 kg et mangeant chaque jour environ 500g d'aliments variés...

    Sachant qu'en moyenne, nous parvenons, nous les bactéries, à prélever entre 10 et 20 pour cent de votre nourriture, ce qui fait environ 70g par jour, n'est-ce pas ? Alors que vaut-il mieux faire ? Dévorer en une seule fois vos 70 kg, ou bien prélever chaque jour 70 g de votre nourriture ?

    _ Moi : Je ne sais pas...

    _ Mathematix Bacillium : Mais c'est bien simple ! Vous avez noté, je pense, que 70g, c'est le millième de 70 kg ? Donc si votre espérance de vie est supérieure à 1000 jours, il est préférable pour nous de profiter tranquillement des 70g par jour que vous nous apportez...

    _ Generalissim Microscopix : Voilà pourquoi nous n'avons aucun intérêt à lancer une attaque contre vous, tant que vous avez au moins 3 ans d'espérance de vie ! Et c'est pourquoi les barbares qui veulent attaquer avant, nous devons les écarter. En revanche, quand sonnera pour vous l'heure de la fin, les enjeux seront différents...

    _ Encyclopedix Britanicus : Depuis la nuit des temps, les choses se déroulent ainsi, selon un mécanisme simple, mais bien huilé. Nous les sédentaires, nous vous aidons à vous défendre contre les envahisseurs, jusqu'à la fin de votre vie. Et tout à la fin, nous abrégeons vos souffrances. Mais ce qui vient bousculer les choses, aujourd'hui, ce sont les antibiotiques...

    A l'évocation de ce mot, un vent de panique se met à souffler sur l'assemblée :

    _ Antibiotix ! Antibiotix ! répètent les microbes avec effroi

    _ Padepanix Bacillia : Calmez-vous, voyons ! Nous ne faisons que parler ! Aucun antibiotique n'a été lancé ici !

    _ C'est vrai qu'autrefois, dis-je, lorsque quelqu'un était foudroyé par une cause inconnue, on disait simplement : "il a eu une attaque". Et on se contentait de cette explication...

    _ Encyclopedix Britanicus : L'expression était assez juste : il s'agissait souvent d'une attaque microbienne survenue en fin de vie, qui permettait d'abréger les derniers moments. Généralement la personne tombait dans les pommes, car on lui faisait perdre conscience d'une manière ou d'une autre, et c'était sans douleur.

    _ Generalissim Microscopix : Mais aujourd'hui vos médecins s'opposent farouchement à ces attaques, en nous aspergeant d'antibiotiques. Cela vous évite certes la mort pour un temps, mais pas les tourments de la dégénérescence.

    _ Encyclopedix Britanicus : On ne s'oppose pas impunément à la nature.

    _ Je suis impressionné, dis-je, par votre hauteur de vue. Et la sagesse de vos observations !

    _ Angelus Inspiratrix : Vous ne croyez pas si bien dire ! Entendez-vous parfois une petite voix dans votre tête, qui vous prodigue des conseils, ou vous souffle des solutions ?

    _ Moi : Cela m'arrive en effet...

    _ Angelus Inspiratrix (malicieusement) : De qui croyez-vous qu'il s'agit ?

    _ Moi : Je ne sais pas... Un ange ? La muse du poète ?

    _ Angelus Inspiratrix : Mais les anges ne résident-ils pas à l'extérieur de vous ? Et la muse du poète n'est-elle pas cette jeune femme qui s'invite à sa table, afin de l'inspirer et de l'encourager ?

    _ Moi : Oui, c'est ce qu'on dit...

    _ Angelus Inspiratrix : Or cette petite voix, qui chuchote dans votre tête, et que vous avez parfaitement localisée, ne vient-elle pas de l'intérieur de vous-même ? Vous devriez y réfléchir, cher Monsieur...

    _ Moi : Quoi ? Vous voulez dire que les voix que j'entends dans ma tête proviennent des microbes ?

    _ Angelus Inspiratrix (s'inclinant ironiquement en une révérence profonde) : Puisque vous le dites...

    _ Moi (interloqué) : Grands Dieux ! Alors vous relayez la voix des anges ! Et dire qu'on vous prenait pour des parasites !

    Régis Fagot-Barraly

     

    N.B. Ce texte _ à prendre bien entendu au second degré_ m'est venu suite à la lecture du livre La Santé PAR les microbes, du Docteur Martin J.Blaser, Professeur de Médecine et Directeur du programme de recherches de microbiologie à l'Université de New-York.

    Ce livre est bourré d'informations surprenantes : pour vous mettre en appétit, en voici deux citations :

    "Savez-vous que votre corps héberge une communauté très particulière de 100.000 milliards de microbes, dix fois plus nombreux que vos propres cellules ? Longtemps perçus comme des parasites inutiles, voire dangereux, ces microbes vous font aussi du bien, du point de vue immunitaire et digestif."

    "Forts de leurs 20 millions de gènes, nos microbes résidents nous protègent de la maladie. Ce sont les guérilleros qui défendent le domaine tant que nous les protégeons."

  • Histoires et contes

    Par nature, les métaphores ont ce pouvoir de nous aider à comprendre, à accepter, à digérer nos expériences… à guérir de nos blessures.

    Et elles le font d’une manière si subtile, si agréable, que nous ne nous en rendons pas compte sur le moment.

    Amis hyperactifs, faites une pause !

    Une solide petite graine

    Message de l'eau à l'homme qu'elle aime

    Toujours plus !

    L'homme trop sérieux

    Une retraite bien naturelle

    Sylvain, l'enfant de la forêt

    Rentrée des classe : lettre à un ado

    Eternelle jeunesse

     

    Vous pourrez retrouver ces histoires, parmi d'autres, dans ce livre :

     
     
     
     
     
     
     
     
     
  • Eternelle jeunesse...

    Au pays de l'éternelle jeunesse :

    Mi-vagabond mi-globe-trotter, j’ai visité bien des pays de la Terre. J’ai vu l’Afrique et ses tribus, ses animaux magnifiques, la pauvreté de ses villages. J’ai vu la Russie et ses quartiers pauvres, la misère de ses taudis. Des villes immenses. Des métros bondés de gens pressés, des quartiers riches où de pauvres hères, le plus souvent estropiés, vivent de leur mendicité.

    Et puis j’ai vu l’Inde légendaire, l’inde en pleine mutation, où se côtoient pauvres et riches, jeunes et vieux, gens incultes et gens instruits, fatalistes et ambitieux. J’ai rencontré des gens qui possèdent encore la sagesse d’autrefois : un maître de l’art théâtral, un maître de musique, et un maître de respiration archaïque. Ayant remarqué ma passion pour les voyages, le maître de respiration m’a demandé : « voudrais-tu connaître le pays de l’éternelle jeunesse ? ». Très étonné, j’ai répondu que je n’en avais pas entendu parler.

    Alors il a ajouté « tu devrais visiter le pays de l’éternelle jeunesse. Je vais t’expliquer où il se trouve ». Après avoir visité tant de pays où la vie est si difficile, j’avais très envie d’aller me ressourcer : le pays de l’éternelle jeunesse me semblait tout indiqué pour une halte durable, voir même pour m’y installer.

    « Mais avant cela, insista le professeur, je dois t’apprendre la respiration archaïque ». En mon for intérieur, je me demandais en quoi cela pourrait m’être utile. Mais puisqu’apparemment, c’était une condition à laquelle il attachait de l’importance, je choisis de ne pas manifester mes doutes, et de prendre quelques jours pour suivre son enseignement.

    C’était un excellent professeur, et sa technique était facile à suivre. En seulement deux jours il m’enseigna comment faire, et pendant les deux jours qui suivirent, il me laissa m’entraîner seul. Finalement je lui demandais : « est-ce je vais maintenant pouvoir partir au pays de l’éternelle jeunesse ? ». Il rit et me dit : « patience ! je vois que tu te débrouille pas mal. Encore deux jours, et ce sera parfait ».

    Je respirai donc deux jours de plus l’air de son ashram, assaisonné d’encens et de parfums épicés. C’est le matin du septième jour qu’il revint me voir : « Tu vas maintenant pouvoir partir : je vais t’indiquer le chemin. Mais autant que tu le saches, les gens de là bas souffrent beaucoup, la vie n’y est pas facile ». Un peu surpris, je décidai néanmoins de faire mes bagages, et je partis sans me faire davantage de soucis.

    En arrivant au pays de l’éternelle jeunesse, je n’y trouvai nulle trace de souffrance. Tout le monde était jeune et beau, les femmes étaient ravissantes. Tout le monde semblait souriant et gai, je n’eus aucun mal à me faire des amis. Quand je leur racontais, dans les soirées où j’étais invité, mes aventures de voyages, tous étaient intrigués. Ils me demandaient de décrire mes rencontres dans les détails. Parfois ils paraissaient touchés par toutes ces difficultés, auxquelles ils avaient toujours échappé : elles leur semblaient à la limite du supportable.

    Quand je leur demandais quel était le secret de leur éternelle jeunesse, ils répondaient invariablement qu’ ils savaient prendre soin de leur physique. Qu’ils y portaient beaucoup d’attention, et bénéficiaient de toute l’expérience, des spécialistes de l’hygiène corporelle. Parfois l’un d’eux ou l’une d’elle, ne venait plus aux soirées habituelles, et quand je demandais de ses nouvelles, on me répondait que c’était « pour se soigner ».

    C’est seulement après un certain temps, que je remarquais que les absents, ne revenaient pas et que j’aperçus, de-ci, de-là, des regards gênés, des visages inquiets. Je repensai aux paroles de mon professeur de respiration archaïque : se pouvait-il réellement que les gens d’ici, souffrent secrètement ?

    Je trouvai assez vite un studio et un petit boulot. Ce n’est qu’en y vivant, que je pus découvrir la culture de ce pays : culture du secret, culture de la beauté, culture physique de corps parfaits, de visages où toute ride devait être cachée. Alors je repensai à la vie de Siddhârta, dans le palais merveilleux de son père, là où tout était calculé pour cacher la misère. Se pourrait-il qu’ici aussi, existe un monde derrière le monde ? Un monde silencieux, un monde obscur, caché derrière de hauts murs, aux oubliettes de la cité ? Et si les gens « partis se soigner » étaient simplement évacués derrière les murailles de quelque hôpital secret ?

    Un jour que nous parlions philosophie, avec quelques amis, je me décidai à poser la question qui depuis longtemps me brûlait les lèvres. Prenant mon courage à deux mains, je risquai : « puisque vous avez le secret de la jeunesse, avez-vous aussi celui de l’immortalité ? »

    Qu’est-ce que j’avais pas dit ! Les visages se sont fermés : Regards consternés, mâchoires serrées, la discussion cessa sur le champ. Jamais je ne fus plus invité dans les soirées : évidemment j’avais dû prononcer un mot tabou. Certainement, tout ce qui faisait penser à la mort, et même son contraire, devait être tenu secret…

    Je mis très longtemps à me refaire des amis. Dans toute la bonne société on se méfiait de moi : j’étais une personne imprévisible ! Je pouvais en pleine réunion amicale, dire une énormité et fiche par terre, l’ambiance festive de laquelle il ne fallait évidemment jamais se départir. Mes nouveaux amis étaient tous des gens présentant quelque particularité hors norme. En fait, des êtres de seconde zone. Certains n’étaient pas très riches, d’autres pas très bien habillés, d’autres un peu provocateurs.

    Tous avaient plus ou moins été écartés des soirées mondaines. Avec eux les relations étaient plus faciles, même si je devais encore mesurer mes paroles, certains d’entre eux étant très sensibles. Ce qu’il y avait de bien en tous cas, c’est que même après une première réaction parfois épidermique, jamais ils ne gardaient de rancune. C’est ainsi que je les appréciais, à leur contact je compris la réalité des choses : si l’on voulait survivre ici, il fallait s’engager dans une course à la perfection, et y jeter toutes ses forces. Le bronzage en été, le ski l’hiver, étaient des formalités incontournables. Dépenser son argent en soirées, vêtements et victuailles, préparer les ripailles dans les moments de Noel, c’était là un minimum indispensable.

    Toute l’année la chasse était ouverte, la chasse aux rides, la chasse aux cheveux blancs, la chasse aux signes de faiblesse, de vieillesse ou de paresse. Seul l’embonpoint était toléré, un peu moqué, mais toléré tout de même _pour le sexe masculin uniquement_ en raison du symbole de réussite qu’il représentait. Après quelques temps je remarquais des signes de fébrilité, au sein de cette société.

    Je remarquai que les gens s’agitaient, et pas forcément pour un résultat. Parfois ils travaillaient comme des forcenés, rien que pour selon eux « ne pas s’ennuyer ». Ils avaient horreur de l’inaction parce que disaient-ils, ça les faisait « gamberger ». Je savais bien à quoi ils gambergeaient. Mais amis me l’avaient dit, il y a un autre monde caché derrière les murs de la cité.

    Un monde à côté duquel même mes amis, pourtant citoyens de seconde zone, auraient paru privilégiés. Derrière les murs de la cité, il y avait tous les gens qu’on désirait cacher, parce qu’ils n’avaient pas réussi à se maintenir dans cette course folle, la course à l’éternelle jeunesse. On disait qu’ils étaient bien soignés, pour ce qui est des soins corporels, mais qu’en revanche ils souffraient d’avoir été écartés de leur vie habituelle.

    Et que le personnel, pour éclairé qu’il soit au niveau technique, n’avait aucunement le temps de se mettre à l’écoute de leurs plaintes. Mes amis aussi, cédaient parfois à la panique. Une angoisse sourde et contagieuse, qui m’atteignait à moi aussi. Elle survenait le plus souvent la nuit, à l’heure où tout le monde s’est endormi, et où on se retrouve face à face avec soi-même.

    C’est alors que je me souvins des paroles de mon maitre de respiration archaïque et je décidai de me remettre à sa technique. A ma grande surprise je m’aperçus que cette respiration, calmait miraculeusement l’angoisse… J’en fis part à mes amis : quelques uns acceptèrent de me croire. Mais ils n’avaient pas toujours la patience de persévérer assez longtemps, pour que ce soit efficace… Alors j’utilisai la respiration archaïque pour moi-même… C’était un bon antidote à l’angoisse.

    Pourtant au bout de quelques temps, je m’aperçus que la technique à elle seule ne suffisait pas : l’angoisse disparaissait, puis revenait. Elle disparaissait, puis revenait. Néanmoins elle était devenue supportable, et je savais que je n’aurais plus à la fuir. Peu à peu j’arrivai à la regarder en face. Je m’aperçus qu’elle arrivait sous forme d’images, de mots défilant dans ma tête, et aussi de sensations d’inconfort. Je me souvins de cette parole touareg : « Au loin je vis une silhouette et je pris peur, pensant que c’était un fauve. Mais quand la silhouette s’approcha, je vis que ce n’était qu’un homme. Et quand elle s’approcha encore, je vis que c’était un ami ».

    Je me dis que si l’angoisse revenait sans cesse, c’est qu’elle devait bien avoir une fonction. Après tout si l’on en croit Darwin, l’évolution des espèces élimine sans coup férir, tout ce qui est inutile à la survie. Alors quand me revenait un scénario catastrophe, je commençais par activer la respiration archaïque pour me calmer, et puis je regardais le film…

    Je me voyais sur l’écran, de l’extérieur, me débattre dans telle ou telle scène imaginaire. Des scénarios concernant le plus souvent, des événements à venir : à quoi tout cela pouvait-il bien servir, sinon à éviter le pire ? Alors je me mis à regarder les scénarios, à les suivre jusqu’à leur terme. Parfois je déroulai le film à l’envers, je changeai quelques détails, et je relançais le film pour en observer les conséquences... Comment faire dans tel cas ? Et dans tel cas ? Et dans tel autre cas ?

    Peu à peu les angoisses sont devenues mes amies. Quel magnifique système de prévention ! C’est comme d’apprendre à piloter sur un simulateur de vol. Le système vous dit : « et si vous n’avez plus de kérosène ? Et s’il y a un pirate dans l’avion ? » A chaque fois il vous laisse le temps de réfléchir. Vous devez trouver une solution, puis réagir. Quand vous devenez très très bon, le système passe au niveau supérieur : « Et si vous n’avez plus de kérosène, qu’il y a un pirate dans l’avion, et qu’il vous demande de faire un détour par Honolulu ?»

    Il y a toujours un moment où le système automatique de prévention du pire vous pose un problème insoluble. Après tout c’est son métier de prévoir le pire. Un moment donné il vous dit : « Et quand tu vas mourir, tu feras quoi, après ? ».

    C’est à cause de cette question-là, qu’au pays de l’éternelle jeunesse, on peut pas s’en faire un ami. Au pays de l’éternelle jeunesse, on hait le système de prévention du pire. On cherche par tous les moyens, à le faire taire. En fait, j’avoue que cette question m’a déstabilisé aussi.

    Sur le moment je n’ai rien pu répondre. « Et quand tu vas mourir, tu feras quoi après ? ». Je ne savais comment répondre à cette devinette, alors le système automatique de prévention du pire, se faisait un malin plaisir, de venir me la resservir. De préférence la nuit évidemment, au moment où j’avais le temps de réfléchir …

    Un jour cependant, je tombai accidentellement sur la réponse d’Einstein à un journaliste. A la question « est-ce que vous croyez en Dieu ?», Einstein répondit : « dites moi d’abord comment vous définissez Dieu, ensuite je vous dirai si j’y crois». Et là, c’est le journaliste qui resta coi.

    Holà, me dis-je, mais je tiens la réponse magique ! Le soir même, lorsque mon système infaillible de prévention du pire se pointa devant moi, je lui dis : « c’était quoi ta question déjà ? ». Alors sans hésiter, il déroula sa mécanique : « Et quand tu vas mourir, tu feras quoi après ? » « Dis moi d’abord ce qui se passe après la mort, je te dirai ce que je ferai alors. »

    Note : La personne qui raconte l'histoire est bien sûr un personnage imaginaire. Cette histoire est partie d'un rêve, que j'ai fait voici quelques mois. Je marchais dans une forêt, traînant un boulet enchaîné à la jambe... Le boulet se faisait de plus en plus lourd à mesure que je marchais, et de plus il s'accrochait aux buissons et aux racines. Alors je me retournai et vis que c'était un boulet carré : Je m'accroupis pour le voir de plus près, c'était en fait une caisse à outils... Avec une étiquette sur laquelle il était marqué : "ANGOISSES". Et quand j'ouvrai la caisse à outils, je vis des clés étincelantes... Régis

     

  • Message de l'eau

    Vous aimez la poésie ? Vous avez envie de vous relaxer quelques minutes ? Ou bien, vous êtes sujet à l'insomnie et vous aimeriez pouvoir vous laisser bercer par le rythme régulier d'une voix légèrement hypnotique, afin de glisser agréablement vers le sommeil ?

    Dans tous les cas, profitez de cette vidéo de 20 minutes, à voir ou à écouter les yeux fermés.

    Message de l'eau à l'homme qu'elle aime, de Claire Savenca :