Une retraite bien naturelle
J'ai rencontré au détour d'un chemin, un vieil homme au regard profond : il semblait animé d'une étrange force intérieure, et d'une grande confiance dans la vie. Quand j'ai voulu en savoir plus, voici ce qu'il m'a raconté :
"Je me suis assis sur un banc devant une fontaine..."
« Quand on m'a mis à la retraite, j'ai eu l'impression que le monde entier s'écroulait. En même temps j'avais du temps libre, pour me promener, pour réfléchir, ou simplement pour marcher dans la nature. C'est ainsi que j'allais par les chemins, en repensant à mon passé.
Dans ma vie j'avais fait beaucoup de choses, croisé beaucoup de gens. J'avais la sensation de m'être beaucoup dépensé, pour un maigre résultat. Un jour, alors que j'avais longtemps marché, je me suis assis sur un banc devant une fontaine...
J'ai mis mes lunettes noires pour pouvoir fermer les yeux sans éveiller l'attention des passants, et puis j'ai regardé en moi. Alors le son de l'eau a pris le dessus sur toute autre impression, il m'a emporté plus profondément en moi-même, et m'a conduit jusqu'à cet endroit où l'on n'entend plus que le son du silence...
J'ai réalisé que depuis longtemps je cherchais ce banc, étant fatigué de marcher mais surtout de penser. J'étais fatigué de chercher une réponse que je ne trouvais pas, et voilà que soudain par la vertu de ces lunettes protectrices, je pouvais tout simplement être moi-même, c'est-à-dire rien de bien important. Etrangement, ce fut pour moi un soulagement : je me sentais en paix avec moi-même. Je pouvais sentir avec une précision extrême et une intensité inaccoutumée, le mouvement de l'eau de la fontaine, le flux et le reflux de l'air dans mes poumons, et la circulation du sang dans mes veines : sans les pensées qui d'habitude m'étouffaient, je me sentais pleinement vivant.
Une question me traversa l'esprit : puisqu'il est si facile, et si agréable, de retrouver en nous ce rien qui coule de source, alors pourquoi nous égarons-nous ? Je ressentais au fond de moi un Vaste Vide qui me donna un moment le vertige, si bien que je faillis le fuir une fois de plus.
Tandis que je restai tout de même en sa Présence, je commençais à me douter de quelque chose : cette impression de Manque, que nous cherchons à fuir de toutes les manières, en nous activant, en nous fixant des objectifs, en partant promener, en allant visiter des pays lointains, en mettant de la musique, en fuyant la solitude, en organisant des fêtes ou en allant au cinéma, ce Manque, n'est-il pas justement le Vaste Vide qui réside en nous au plus profond ?
Oui ce Manque, que nous prenons d'habitude pour notre pire ennemi, n'est-il pas au contraire le plus grand guérisseur de nos blessures ?
Car si le Vaste Vide est d'une telle puissance que parfois il nous fait peur, cette puissance n'est-elle pas justement notre propre puissance ? Voilà, c'est sans doute cette force intérieure que je recherchai ce jour-là inconsciemment lorsque...
...je me suis assis sur un banc devant une fontaine... »
Texte : Régis
Histoire racontée en Vidéo :
Textes : Régis
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